Le goût est assez puissant, long en bouche. Surprenant mais agréable. La substance est très liquide, au point que le petit pot contenant l’échantillon est légèrement collant. L’analyse gustative laisse perplexe. Une saveur de fruits rouges, peut-être ? Certains retrouvent comme un bouquet de miel de trèfle. « Pour moi, cela évoque plutôt la lavande ou la violette », lâche, après un temps de réflexion, Ivan Schooppe, qui ce jour-là tient la boutique Famille Mary, spécialiste centenaire des produits de l’apiculture, près de la place Gambetta, à Paris.
Au terme de ce test à l’aveugle, nous lui précisons que ce n’est pas du miel qu’il vient de goûter. Pas une abeille n’a butiné la moindre fleur pour contribuer à élaborer cet ersatz bio-fermenté en laboratoire. « C’est assez bluffant, on dirait vraiment du miel », admet-il. « Mais ici, ce produit serait absolument invendable, car les clients veulent quelque de chose de naturel. D’ailleurs, un sur deux veut être bien sûr que le pot qu’il achète ne contient pas de sirop de glucose ajouté, que le produit est pur », précise le vendeur.
« Food tech »
Produire du miel sans abeilles, est-ce vraiment raisonnable ? C’est le pari de la start-up MeliBio, basée à Berkeley, près de San Francisco. Cette pépite de la très active « food tech » qui, en à peine une année d’existence, est parvenue à lever 1,5 million de dollars (1,3 million d’euros), considère qu’elle fait œuvre de sauvegarde. Proposer « du vrai miel produit sans abeilles » (drôle de sophisme), c’est diminuer la pression productiviste qui pèse sur une espèce menacée. La protéger des spéculations du genre humain, assurent ses dirigeants. Et, au passage, récolter le succès qui semble promis à tous les produits estampillés « végan », y compris le vin ou les ersatz de viande et d’œufs.
Avec un petit supplément d’âme, car le miel, c’est le symbole de nos échecs successifs et répétés à maintenir un lien sain avec le vivant. Des abeilles bombardées de pesticides, des prix qui explosent en raison des mauvaises récoltes liées au dérèglement climatique, des miels de piètre qualité (nés d’assemblages improbables, chauffés à plus de 50 degrés ou mélangés à du sirop de glucose) importés de Chine ou d’ailleurs, image d’une mondialisation irréfléchie et déréglementée…
Bref, la recette parfaite pour une culpabilité environnementale au carré. MeliBio ne va pas tout de suite apparaître dans les rayons des boutiques françaises. Dans un premier temps, la start-up va vendre son faux-vrai miel à des entreprises qui l’intégreront comme édulcorant dans la composition d’aliments et de boissons variés, ou à des fabricants de cosmétiques. Avant de le proposer aux consommateurs américains et, peut-être ensuite, européens.
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